Sortie des « turbulences », la Hadopi a renforcé ses actions contre le piratage des films et de la musique, et souhaite maintenant s’adapter face à l’évolution des pratiques illicites sur la Toile. Créée fin 2009, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet a traversé de nombreux écueils durant sa jeune existence.
Sa création s’était accompagnée d’un « vif débat » sur sa « priorité stratégique », entre les partisans d’une lutte contre les sites favorisant le téléchargement illégal et d’autres préférant concentrer ses moyens sur la pédagogie et la répression vis-à-vis des internautes, et d’une censure constitutionnelle concernant ses pouvoirs de sanction, a rappelé à l’AFP son président Christian Phéline, qui présentait jeudi son dernier bilan annuel avant la fin de son mandat prévue en février 2018.
En outre l’institution a dû surmonter une forte baisse de son budget en 2014-2015 et le départ de plusieurs cadres. Des députés avaient même voté l’an dernier sa suppression pure et simple (programmée pour 2022), avant que le Sénat ne revienne sur cette mesure.
Mais depuis la Hadopi a retrouvé des forces et musclé ses interventions auprès de la justice pour obtenir la condamnation des internautes qui s’adonnent au téléchargement illégal de manière répétée, et qui persistent malgré l’envoi de plusieurs messages d’avertissements.
C’est le principe de la « riposte graduée », ou réponse graduée, terme que la Haute autorité préfère employer.
La procédure est longue avant d’aboutir à une éventuelle condamnation : les représentants des artistes (comme la Sacem) collectent les adresses IP des internautes qui partagent illégalement leurs oeuvres.
Puis la Hadopi demande aux fournisseurs d’accès (Orange, Free, SFR, etc) les coordonnées des abonnés utilisant ces adresses IP, afin de leur envoyer des messages d’avertissement. Ce qu’elle fait de manière la plus systématique possible, et qui suffit dans la plupart des cas à ramener les internautes sur le droit chemin.
Jusqu’à 3 ans de prison
La Hadopi a ainsi adressé plus de 9 millions de premiers avertissements depuis sa création, et plus de 800.000 « lettres de rappel », dont près de 200.000 l’an dernier.
Ce n’est qu’en dernier recours que la Hadopi peut décider de transmettre un dossier à la justice, laquelle décide ensuite d’éventuelles poursuites pénales, en général pour « négligence caractérisée » (passible d’une amende de 1.500 euros) ou dans des cas beaucoup plus rares pour « contrefaçon », un délit passible de 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende.
Selon la Hadopi, plus de 2.000 dossiers ont été ainsi transmis au parquet depuis 2010, avec une « montée en charge significative ces deux dernières années » puisque 889 dossiers ont été transmis de juillet 2016 à juin 2017, un chiffre en augmentation de 30% sur un an.
L’autorité ajoute avoir dénombré jusqu’à présent, compte tenu des délais d’instruction et de traitement par les tribunaux, 583 décisions de justice, dont 189 condamnations pénales, et 394 alternatives aux poursuites, qui incluent généralement un rappel à la loi, une amende à l’amiable ou un stage de citoyenneté.
Cependant, pour Christian Phéline, la focalisation du débat sur la réponse graduée ne doit pas faire oublier « nos autres missions, d’observation de l’évolution des pratiques, de soutien à l’offre légale, d’éducation des publics et de régulation », que la Haute autorité a également cherché à développer ces deux dernières années.
Selon lui, ces autres missions « montrent qu’une autre Hadopi est possible, offrant son expertise et ses services » aux ayants droit comme aux internautes.
Il plaide en outre, avant son départ, pour un élargissement des activités de la Haute autorité pour répondre aux évolutions des usages illicites sur la Toile : comme par exemple le piratage de livres numériques, les sites « miroir » (des copies qui prennent aussitôt le relais des sites dont les ayants droit obtiennent la fermeture), les plateformes de streaming illégal (consommation de vidéos sans téléchargement, une pratique non couverte par la riposte graduée) ou l’emploi de boîtiers pré-équipés de logiciels de piratage.